papotages partie 5 et fin


Je refuse toutes les options. Il me reste à mourir. Tout de suite, maintenant et qu'on n'en parle plus.
A la minute où je décline leurs trois offres, il se déclenche un de ces chahuts sur la voie lactée, quelque chose de soigné. Je ne suis pas certaine que toute une armée de bambins qui auraient réussi pour la première fois à attacher leurs lacets se réjouissent à ce point et fassent un tel tapage ! Amour Gloire et Beauté ont remis leur casquette à hélice et tente de virevolter mais comme ils tentent le faire tous à la fois, ils se heurtent les uns aux autres, s’entrechoquent façon pogo et compte tenu que le son n’y est pas, c’est un ballet fort étrange à regarder. Sur ce, intégrant le foutoir, débarque une compagnie de boules bleues nommées Joyeusetés, qui ont des têtes de smileys, à hélice eux aussi, qui vrombissent à tout rompre autour de mes oreilles vu qu’ils me tournent autour comme les enfants d’une ronde. Déjà petite, j’adorais cela alors là, vous imaginez mon état. Euphorique. Je ne sais pas pourquoi ils sont si contents et ce que j’ai bien pu faire pour déclencher un tel enthousiasme mais j’ai du remporter quelque chose. Peut être le gros lot ?

Un grand bruit vient du dessus, je crois que Dieu débarque. Cela se corse reste que je m’en doutais un peu à voir l’état des autres. Je le savais bien que Dieu, quand il vous ferme une porte à la figure, en profite pour, quelque part, entrouvrir une fenêtre. Effectivement, il arrive. Alors je vous le dis tout de suite, il ne ressemble pas du tout à ce que l’on prétend. D’abord, il n’est pas vieux du tout, il est plutôt jeune et fringuant, porte des vieux blues jeans et des baskets franchement élimées. S’en fiche du look visiblement. Il a bien une barbe mais elle est faite de fleurs. Il a 3 yeux. 1 bleu, 1 marron et 1 vert. Il s’assied en face de moi. Je fais comme si de rien n’était et que je croisais Dieu à peu près tous les jours, la vaniteuse en moi qui relève la tête, mais je suis quand même très impressionnée. Je ne parviens à rien lui dire pourtant cela fait un moment que j’ai des questions à lui poser parce que je ne comprends pas tout. Il y a quand même des fois où je l’ai trouvé franchement je m’en foutiste. Les guerres, les maladies, la famine, la Shoah, le génocide arménien, rwandais et autres calamités. Bref, j’ai une sacrée liste de questions. Mais là rien ne sort. Il sourit en me regardant. Je crois bien qu’il se moque.
« Alors, tu as renoncé ? » demande-t-il
Je réponds timidement « Oui… »
Je le sens qui s’agace et il dit « Je répète : toi, tu as renoncé ? Tu jettes l’éponge ? Tu me déçois… ».

Bon sang, j’ai déçu Dieu ! Je crains que la foudre m’abatte dans la seconde ou que le déluge recommence et m’envoie dinguer en enfer pour avoir été trop idiote et n’avoir pas vu la perche qui m’était tendue. Je tente de me justifier et lui explique que les voir 7 jours mes Rapatons pour les quitter ensuite, retrouver les chagrins, l’amertume de certains jours, si je peux éviter, tant qu’à claquer, autant le faire tout de suite.
« Donc, tu n’as pas compris » me dit-il. « Tu seras donc toujours la même qui court après quelque chose qu’elle doit trouver en elle ».

Ca y est, ça recommence avec les trucs auxquels je ne comprends rien. Il me refait le coup du prof de yoga de me 15 ans et du « psypsy » de service. Mais c’est quoi qui est en moi ? Il voit que je ne comprends pas alors, sur un plateau, il me présente un cœur. Il y a mon nom dessus. C’est le mien. Dans un réflexe, je me touche la poitrine pour vérifier s’il est toujours là mais je dois me rendre à l’évidence, par l’opération du saint esprit, faut dire que le lieu est propice, il s’est bien échappé et c’est lui qu’il palpite, là, sur le plateau d’argent. Je me penche et je regarde. Il n’est pas mal mon cœur, il est bien gros, bien rempli, y a plein de gens dedans mais quelque chose m’étonne : je ne suis nulle part. Dans mon cœur, je ne suis pas. Mais enfin, comment est-ce possible ?
Je regarde Dieu et je lui demande « Pourquoi je ne me vois pas ? », il sourit, il a l’air satisfait d’un bébé repu. Ou d’un chat devant un bol de crème.
« Ah quand même, tu as une lueur » dit-il

Assis en tailleur, il me parle. Je l’écoute. Avidement. Pour une fois que je le tiens entre 5 yeux (je vous rappelle qu’il en a 3, des yeux), je ne vais pas en perdre une miette ! Il m’explique comment il savait que je refuserais les deux premières options et qu’il avait craint que je choisisse Amour parce qu’alors, j’aurai du redescendre en n’ayant rien compris pour remonter vite fait, toujours aussi ignare. Donc il y avait un piège. Je m’en doutais faut dire. Un peu démoniaque Dieu par moments… Il dit que mon problème, c’est moi. C’est pour cela que je ne veux plus rien et suis prête à mourir parce que je n’ai pas encore trouvé le mode d’emploi du monde et que je suis fatiguée d’avoir tant confondu. Il me prend la main et il me dit « Regarde toi ».

Je penche un peu la tête et je me vois, en bas, dans ma vie d’avant Dieu et toutes ses Joyeusetés. Je me regarde, je me vois, je m’observe. Je suis là qui me figure être responsable de tout et m’accabler sans cesse. Je ne porte pas le monde, que nenni, je suis la rigolote qui tourne la manivelle qui actionnerait la mécanique qui implique qu’il tourne. Le monde. Normal que je fatigue ! Vouloir gérer le monde, c’est quand même du boulot ! En plus de m’être octroyé le rôle de la tourneuse de manivelle, je suis régulièrement envahie par de mauvaises pensées qui me murmurent à l’oreille que je ne vaux pas grand chose, ces chères petites m’étiolent en même temps qu’elles me grignotent synapses, neurones et cellules grises créant un magma tel que j’y entrave que couique. Je m’observe en train, pour fuir la fatigue et mon stress que penser ne pas valoir grand chose engendre, de courir, de brailler, de faire du charme, de flirter avec tout ce qui porte jupe, pantalon voire gonds puisque je ferais aussi du charme à une porte, taper des mains, des pieds, me parer, faire la belle, ouvrir les bras, les portes, laisser tout le monde entrer, finir par en virer la moitié en faisant des grands moulinets avec les bras style capitaine Haddock quand je comprends qu’ils ne m’aiment pas vraiment. Et c’est un éternel recommencement.

« Tu vois, me dit-il, voici pourquoi tu te sens tellement lessivée. Épuisée. Hagarde. Exsangue. Mais Cathy, il serait temps que tu t’assoies enfin et regarde au fond de ton coeur pour y trouver la joie d’être toi même et le bonheur aussi. C’est à toi de mettre un terme à ce fatras de chagrins, de fatigues et de luttes. La réponse est en toi, cherche et c’est un trésor que tu trouveras. Celui de ta fortune. Ta fortune personnelle. Et tu pourras t’aimer, tu en vaux bien la peine.»

Je souris. Je le soupçonne d’avoir inspiré certains publicitaires. Et je regarde encore, la brune en bas qui s’agite pour ne plus avoir mal. Je la regarde faire et je sais bien qu’il faudrait qu’elle se calme. Je reconnais, c’est vrai, il a bien raison Dieu. Depuis tant d’années, pour qu’on m’aime, je dis Oui quand je pense tellement Non. C’est vrai que je donnerai tout pour qu’on m’aime, je vendrai mon âme s’il le fallait. Vous entrez dans ma vie ? Pas de problème, je vous file tout, même ce que vous ne demandez pas : mon temps, mon cœur, mon cul, mon fric, ma place, tout. Si d’aventure, vous commencez à m’aimer, je fous le camp, morte de trouille ou bien je reste et là, c’est juste l’enfer parce qu’au moindre mot de travers, je m’écroule et pleurniche quand je ne m’apprête pas à vous arracher les yeux comme le ferait une panthère. Vous ne savez plus quoi faire, vous me regardez me décomposer, pleurer, appeler la mort, le mauvais sort et tout le bastringue. Si vous ne m’aimez pas, alors comptez sur moi, je vais tout faire, tout, même me compromettre, recommencer encore et encore mon ouvrage jusqu’à y parvenir. Puis je passe à autre chose et tout recommence. Je suis un film permanent qui passe en boucle. Avec la même héroïne, moi, et les seconds rôles, interchangeables. Il a raison Dieu, il est clairvoyant le garçon, c’est avec moi que j’ai un problème. Je ne m’aime pas. Les compliments plurent longtemps sur mes yeux bleus, mes fesses, mes seins et tout ce qui va avec du temps que j’étais belle et chaque fois je me disais « Ah oui il ou elle me trouve géniale intelligente belle et tout le reste ? Pour combien de temps ? Et ensuite, il ou elle partira alors autant qu’il parte tout de suite ». Et je criais « Dégage » devant des gens qui ne comprenaient plus ce qui m’arrivait et me prenait pour une dingue que j’étais certainement. Quelques-uns sont restés, par amour ou sur un malentendu , d’autres se sont tirés, avant de devoir recourir au secours d’un pompier, d’un médecin, voire d’un dresseur de fauves.

Il me voit réfléchir, Dieu, je sens qu’il me comprend, il me prend contre lui et ça fait tout bizarre, il est doux, tendre et chaud, petit à petit, je me dilate d’émerveillement. Vraiment. Je me détends aussi, je sens que quelque chose lâche à l’intérieur et il dit tout doucement « Pardonne toi, tu veux tout régenter, tout réparer pour ne plus avoir mal mais tu n’es pas Dieu puisque c’est moi alors, sache bien que ce n’est pas de ta faute et que tu peux t’aimer, tu es vraiment aimable ». Et il me sourit en clignant de ses trois yeux. Et là, les larmes montent en moi, pleins de petits sanglots cherchent à sortir, se bousculent dans ma gorge et finissent par jaillir. Et je pleure longtemps pour finir par rire aux éclats parce que, d’un seul coup, je vois mon cœur qui danse et s’amuse comme jamais. Il folâtre avec les petites Joyeusetés qui batifolent autour de moi. Il danse mon cœur, il joue à se faire peur, manque de tomber, se reprend, fait des cabrioles, il est content mon cœur. Et moi aussi du coup.

La nuit s’est levée, il fait très grand soleil. Je vois enfin le ciel et ce bleu tout autour. C’est tellement magnifique que je ne veux plus rien voir d’autre, qu’on ne me propose plus de faire d’autres voyages, je risquerai de caillasser le Taj Mahal, de taguer le sphinx et de plastiquer l’Acropole, rien n’est plus beau au monde que ce que je vois là. La paix absolue, la lumière, nimbée d’un bleu qui est un peu de moi. Et je me vois partout. Dans ce bleu de ciel là, il y a un peu de moi, dans l’arc en ciel qui vient de se lever, je suis dans chaque couleur, je suis de ce soleil qui se met à briller, je suis un peu du monde qui tourne tout en bas, je suis un peu des vagues des océans immenses, je suis un peu des arbres qui s’élancent vers les cieux, je suis un peu de tout, donc je ne suis pas rien. Je peux enfin m’aimer, petit peu de ce tout, qui n’est pas une grande chose mais est beaucoup de peu.

C’est en amazone maintenant que je chevauche la voie lactée, je n’ai plus peur du tout. Je décide de convoquer tout le monde. Tout ceux qui ont traversé ma vie. Ceux qui m’ont fait du mal et ceux qui m’ont fait du bien. Ceux qui m’ont aidée et ceux qui m’ont chassée. Tous. A chacun je dis que je l’aime, que je le pardonne ou lui demande pardon. Quand j’en ai fini, c’est moi que je convoque et je me dis tout haut

« Cathy, arrête et souffle. Fais ce que tu peux mais n’en fais pas trop, regarde ce que tu faisais depuis toutes ces années, tu t’immolais sans cesse pour mieux te fracasser et quand c’était fini, tu disais que c’était de ta faute. Non, la vie ce n’est pas cela, du bon et du mauvais, prends ce que tu peux, donne et soit tendre aussi envers toi même. Je ne te dis pas de te regarder le nombril, je te dis d’être bien droite dans ta tête, ne fais aucun compromis avec ce que tu es et pense. Soit forte, ne plie plus, et si quelqu’un ne t’aime pas, ne cours plus après pour lui prouver qu’il se trompe pensant que sans son amour, ta vie ne vaudra rien, accepte et passe à autre chose parce que toi, tu t’aimes et c’est ce qui compte ».

Amour, Gloire et Beauté reviennent à mes côtés. Je leur dis que je redescends, je suis une autre mais tout à fait la même pourtant. Une semaine il me reste ? Pas grave, je vais enfin m’aimer pour mieux aimer les autres. Une semaine, c’est beaucoup, à certains ils ne restent que quelques heures et ils ne le savent même pas. A cette annonce, les voici qui se mettent à rigoler comme trois tordus mes loustics. Je ne sais pas ce que j’ai dit mais visiblement c’est amusant puisqu’ils sont vraiment hilares. Soudain j’entends une voix au-dessus, bon sang c’est encore Dieu, il me gardait à l’œil. « Enfin tu as compris, allez zou fous moi le camp, redescends, je ne veux pas encore de toi et tu mourras très vieille parce que tu as encore un sacré boulot, tu dois écrire des livres, choyer tes petits enfants, accompagner tes enfants qui ont encore besoin de toi, rire avec Toto de ses pitreries et surtout tous les jours te regarder 5 minutes et te dire que tu t’aimes ».

Et le rire me reprend. Je ris, je rigole, au point que je finis par tomber de la voie lactée. Après une chute longue mais tout en douceur, me revoici dans la voiture, au volant. Je lève le pied, ralentis l’allure puis stoppe. Je regarde l’arbre qui me fait de l’œil, les nuages qui gigotent et que je soupçonne se foutre de moi. Ils savaient déjà tout et moi je n’avais rien compris. Au bout de l’allée à quelques dizaines de mètres, j’entends la voix de ceux qui m’attendent et qui râlent que je sois en retard. Je m’en fiche, ils attendront un peu, ils ont failli ne jamais me revoir. Je m’occupe un peu de moi avant de les retrouver, j’ai le droit puisque je m’aime maintenant. Je me pose contre l’arbre, je sens son écorce qui vibre. Même l’arbre il sait ce que j’avais omis de voir lui qui a bien pris garde de se couvrir d’écorce pour mieux se protéger : comment vivre sa vie si on ne peut aimer la seule personne dont on est sûre qu’elle sera là, présente, du début à la fin et si on ne fait pas tout pour un peu la protéger ? 

J’entends les Rapatons tout au bout de l’allée. Pour les rejoindre, j’abandonne la voiture qui a failli me tuer et avance en direction de leurs voix. Au bout de l’allée, je les aperçois qui me font de grands signes, je vois le chien César qui jappe à tout casser et les chats qui gambadent autour de la joyeuse bande ; un peu plus loin, dans la pénombre, contre les murs de la maison, je vois ceux que j’aimais et qui nous ont quittés. Ils sourient et m’envoient des baisers avant de disparaître, se fondant dans les pierres. J’ai perdu tant de temps à les chercher partout ceux qui me manquaient tant, à supplier qu’on m’aime pour me réchauffer l’âme alors qu’il suffisait simplement que je m’aime un peu mieux pour mieux aimer les autres, accepter d’être au monde comme une entité de ce tout qui fait la vérité celle qui consiste à voir que la vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie et qu’il nous appartient de protéger la nôtre, parce qu’elle nous fut donnée et nous sera reprise et que dans ce laps de temps, il faut la rendre belle, unique, précieuse. Petite mais indispensable portion d’humanité.



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