Papotages partie 4
Je
saisis la seconde, plus brillante et plus belle que la précédente
et qui elle aussi se développe mais pas sous forme d’écran. Elle
a la forme d’un livre. Je n’y vois pas un film mais y découvre
écrite l’histoire de ma vie sous forme de roman. Je feuillette les
pages. J’y lis que je rencontre tous les plus grands écrivains,
que je suis aimée de certains et adulée par d’autres. J’ai de
plus le pouvoir de m’entretenir avec les poètes et autres
romanciers défunts. Je me plonge passionnément dans ce récit. J’y
côtoie Chateaubriand, Proust et Hugo et tandis que le premier
sollicite des conseils pour une re-visitation de ses Mémoires
d’outretombe, le dernier m’entretient sur la nécessité, ou pas,
de regagner la France et d’y souffler encore le vent d’une
révolution dont les protagonistes seraient les Misérables. Je
papote avec Camus, fracassé lui aussi contre un arbre l’année de
ma naissance. Sait-il cet homme à quel point je l’aime ? Pas
d’amour, c’est pire, je l’aime comme une eau pure qui coulerait
sur moi pour me laver les larmes en même temps que la bêtise crasse
dont je fais preuve parfois. Je fais quatuor de mains avec ce bon
Mozart pour ré-écrire la fin si sordide de sa vie parce que j’ai
oublié de vous dire qu’il m’est donné aussi de refaire
l’histoire à coups d’alexandrins. Ma vie, celle que je lis, est
à la fois passionnante et enivrante ! Quand je ne papote pas avec
tous les auteurs qui ont si souvent accompagné mes nuits lorsque je
faisais écrivaillon de vulgarisation, je voyage mais pas à ma façon
habituelle qui consiste en résumé à attraper des coups de soleil
carabinés dans les endroits les plus improbables tel le dessous d’un
parasol ou à pratiquer avec grand art toute la gamme des drames
intestinaux qu’impliquent l’arrivée de nouvelles amibes dans mon
estomac. Non pas du tout comme ça. Cette fois, je suis sereine,
légèrement hâlée, mon appareil digestif ne fait pas l’imbécile
et je sais parfaitement me mouvoir où que je sois, aussi bien à
Bénarès qu’à Bali à Saint Barth ou à Washington. Je m’y fais
des amis absolument partout prouvant s’il était nécessaire que la
célébrité est le meilleur passeport pour se faire apprécier, bien
plus efficace que le talent et la beauté du cœur. Je suis devenue
une voyageuse-née qui peut boire l’eau d’un caniveau sans choper
quoi que ce soit, se débrouiller dans de nombreuses langues dont
j’ignorais les premiers rudiments il y a quelques jours encore, et
qui reste de marbre devant toutes les situations incertaines. Quand
de mes voyages je rentre m’étant fait des amis dans tous les pays
du monde et qui, à les entendre, n’oublieront jamais ma petite
personne qu’ils qualifient de grande, je suis à Paris. Place des
Vosges. Mon salon fait… salon et toute intelligentsia du coin s’y
retrouve chaque mardi. Nous devisons ensemble sur les derniers livres
parus et autres potins littéraires tandis que j’évalue chaque
fois que je suis pour beaucoup le guru référent et que le
mantravirya que je professe est le plus reconnu et très
très efficace. Epilogue. Je referme le livre. Arrrh, quelle
fabuleuse vie ils m’offrent les chers petits. Je les regarde qui
vibrent de la joie qui m’inonde d’avoir lu toutes ces lignes.
Mais voici que le doute m’accable, ne sais-je pas déjà à quel
point la force de la conscience n’illumine pas toujours le meilleur
des sentiers ? Ce qu’ils me proposent là est la
reconnaissance, la fortune et la goire mais si je me souviens bien,
les revers sont terribles. De fortune, c’est connu mais celui de la
reconnaissance qu’est-ce dont ? C’est ce moment terrible où
du piédestal vous chutez pour ne plus vous relever et que c’est
sous les crachats que vous vous faites enterrer quant à la gloire,
fichtre, qu’en ferais-je en fin de compte ? J’y perdrai mon
latin et mon âme toute entière. Pour les voyages, c’est bon, je
me contenterai des pays où les types de leurs amibes sont déjà les
hôtes intégrés de mon ventre et quant aux coups de soleil, les
écrans totaux sont depuis un moment tout à fait efficaces. Tout
bien réfléchit, c’est non, je ne veux pas de cela.
Je
passe à la dernière. Comme je l’ai dit plus tôt, elle est ronde
mais bosselée et pas du tout brillante. Elle vibre dans ma main
comme un cœur qui bat mais ce n’est pas du sang qui frappe dans ma
paume mais bien des voix qui d’un coup se mettent à retentir. Les
voix de ceux que j’aime et qui m’ont aimée. J’entends Toto qui
fait l’andouille et me fait tellement rire, j’entends Benjamin
qui raisonne et oublie par moments qu’il n’est peut être pas
détenteur de toutes les vérités mais dont j’aime tant le regard
quand il commence à douter, j’entends Jonas qui rit de concert
avec moi et me murmure à l’oreille que je suis une merveille,
j’entends Chloé qui braille pour mieux se faire entendre au milieu
de cette tribu qui ne fait que piailler pour finir par me dire dans
le creux de mon cœur que de toutes les femmes du monde je suis sa
préférée. Oui, je les entends ceux qui m’attendent en bas pour
organiser un énième repas où nous ne manquerons pas de nous
écharper copieusement pour ensuite se tomber en riant dans les bras.
Je les aime tant ceux là qui sont un peu de moi et bien plus d’eux
même. Mais soudain tonnent, couvrant toutes les autres, des voix pas
inconnues mais que je voulais oublier. Celle de mon père parti et
qui m’a un peu tuée en cessant de m’aimer, celle de Manon
défunte, toute seule sous la terre et dont l’absence a
définitivement glacé un gros morceau de mon cœur, celle de Maman
très loin dans sa folie qui m’abreuvait d’injures avant de me
gifler, celle de Thérèse mourante qui suppliait encore qu’on lui
prête un peu de vie pour voir la fin de l’été. Et un chagrin
immense monte du fond de mon cœur, celui de n’avoir pas pu ni su
les protéger ou encore les garder. Je n’ai plus envie de rien, je
ne veux pas les revoir, je veux qu’ils m’oublient vite et passe à
autre chose car je ne pourrais plus, maintenant que je sais les
quitter dans quelques jours, comment faire pour tricher et masquer
mon chagrin, celui que m'inspire les perdre et celui plus grand
encore de n'être pas à même d'être aimée de tout le monde.
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