Chapitre 3 Comment nous devinrent les Rapatons 1 - 3


Rentrés de Cabourg, nous continuâmes, Charly et moi, à rythmer notre vie au diapason de nos deux petits garçons. Ils grandissaient, façon champignons, s’avérèrent être copains comme cochons, dormant l'un dans l'autre à l'heure de la sieste, inventèrent moult bêtises jamais graves mais qui avaient sans doute pour but de m'occuper, ce qui fit que je ne m'ennuyais jamais et que les journées s'écoulaient joyeusement, bien qu'elles furent quelque peu remuantes. Toute entière absorbée que j'étais par leurs rires, leurs bouderies, leurs jeux, leurs tapages de pieds, la façon systématique que Benjamin avait de tout dévorer sans jamais froncer de dégoût son joli petit nez tandis que son Jonas de frère la jouait plus capricieux, je nageais dans le bonheur. Même s'il me fallait mimer saler à gogo tous les plats car Jonas était persuadé que trop chauds, les saler était la seule solution pour qu'ils ne risquent pas de l’ébouillanter. Même s'il hurlait dès que je m'éloignais de quelques mètres et qu'il manqua rentre dingues mon père et son épouse lorsque je dus leur laisser en garde quelques heures pour aller signer chez le notaire l'achat d'un appartement. Autant son frère était calme bien que remuant, autant il était anxieux tout en étant charmant. Chaque soir, lorsque Charly prenait Benjamin dans ses bras et moi le petit Jonas pour aller les coucher dans leur chambre commune, nous les bordions de concert en leur susurrant « vous êtes les fils de l'avenir » avant de fermer la porte. J'étais de plus en plus certaine qu'ils étaient encore et toujours la meilleure « chose » qui nous soit arrivée.

Nous avions quitté Paris pour la banlieue car nos finances ne nous permettaient plus d'assurer un appartement aux buttes Chaumont, deux gamins, la voiture qui va avec et une mère qui adorait dévaliser les boutiques pour les habiller tels des jumeaux quand elle ne jouait pas les ravissantes en se changeant deux fois par jour. C'est ainsi que nous échouâmes à Saint Brice sous forêt, à deux pas de la forêt de Montmorency. S'il faut bien avouer que le cadre était exceptionnel pour ce qui est de la verdure et qu'il y avait fort à parier que les enfants pourraient s'ébattre dans le parc au pied de la résidence sans risquer ni « l'écrasage » par un camion, ni l'enlèvement par un pervers en goguette, ce ne fut pas la même chose pour ce qui est de la mentalité environnante. Pouah. Mesquinerie à quasiment tous les étages, jalousie et convoitise, se battant presque pour des histoires de voitures sous prétexte que l'un avait mordu sur la bande du parking de l'autre, crevant mes pneus car je gênais, à vomir, et je vous passe les histoires libidineuses pas du tout de la meilleure tenue. Une forme de nivellement par le bas à laquelle je ne m'adaptais pas, une vraie chienlit. (Chienlit démentit quelques années plus tard lorsque le destin ou le hasard fit que je retrouvais en Provence l'une des mes voisines d'alors qui s'avéra être une super nana en plus d'être une mère et une grand mère de choc et qui sera sans doute très bientôt mon nouveau mannequin). Compte tenu que les ursulines puis les sœurs ne m'avaient pas préparée à ce choc, le moins que l'on puisse dire est que j'y vécus pendant plusieurs années comme en lévitation afin de tenter du mieux que je pouvais d'enjamber les immondices sans vraiment y parvenir. Mon côté fleur bleue pour ne pas dire gourde neuneu en prit un grand coup (je me demanderais longtemps ce que nous sommes venus faire dans cette banlieue que je détestais vu que j'avais tout fait pour m'en extirper ce qui me valut d'être à nouveau à quelques kilomètres de ma mère que j'avais fui comme la peste à 18 ans et un jour. Je dus donc recommencer à assister à ses séances de suicide à répétition quand elle n'avalait pas les binoctal comme des cachous pour les arroser ensuite de gin ou de whisky au rythme des hurlements de Nana Mouskouri ce qui impliquait qu'elle manquait régulièrement d'en mourir et que je passais de ce fait des heures auprès d'elle à tenir la bassine tout en surveillant son pouls sans jamais être autorisée par son époux à appeler les pompiers avant qu'elle ne passe de vie à trépas et ce sous le prétexte fallacieux qu'étant la fortune du coin (ça rapporte gros l'agro alimentaire), il ne fallait pas que ça se sache ! A sa décharge, il me faut reconnaître qu'il s'occupa de maman jusqu'à la fin de sa vie sans jamais se lasser malgré qu'elle n'était vraiment pas un cadeau et qu'il paya cher n'avoir jamais voulu la faire soigner. La vie est ainsi faite, vous finissez toujours par vous faire découvrir et il eut sans doute une honte indicible quand tous les gens ayant assisté aux derniers jours de ma mère constatèrent que comme je tentais de le dire depuis des années tout en demandant une aide qui ne vint jamais mais me fit passer pour une « salope qui n'aime pas sa mère » : elle était zinzine pour tout de bon et ce depuis fort longtemps... Bien sûr, sa fin de vie ignoble où réduite à l'état fœtal elle avait perdu l'équilibre, la parole en même temps que la comprenette (évitez les mélanges barbituriques alcool c'est une bombe à retardement pour le cerveau) me valut de voir un défilé de gens venant s'excuser de ne pas m'avoir crue. C'était trop tard, le mal était fait. Leur indifférence devant ma détresse à porter ma mère dévastée à bout de bras à 10 ans à peine, associée à leurs insultes à mon endroit firent que depuis, non seulement je veux sauver tout le monde, ne l'ayant pas sauvé elle, ma maman, mais que étrangement je me sens souvent très seule même au milieu des autres. A cause de leur bêtise, de leur aveuglement, depuis mes 10 ans, j'ai deux compagnes permanentes qui chacune a mis une main sur mon épaule et me la lâche que très rarement : désenchantement et solitude). En somme, moi qui avait tout fait pour fuir cette catastrophe annoncée, je m'y retrouvais en plein et ayant peu de goût pour les beuglements plaintifs, je continuais à donner le change en m'en tenant à l'image renvoyée par ma mère et son mari : fric à gogo, élégance bon teint dans les soirées mondaines et autres voyages sur le Nil avec tout ce que la politique d'alors comptait de gros plein de fric mais une fois la porte de leur appartement refermée, derrière, c'était Sainte Anne à Beyrouth, aux pires heures de la guerre.

Alors ça me reprit : je voulais un autre enfant. Plus exactement, je voulais une fille. Une jolie petite fille, une princesse. Cette fois Charly fut parfait, enfin presque si on excepte qu'il oubliait régulièrement de s'armer de patience quand les futurs frères de la princesse en question trouvaient judicieux de faire les zouaves jusqu'à pas d'heure, de décorer les toilettes à coups de papier hygiénique trempés dans l'eau des dites toilettes, quand ils ne faisaient pas caca dans la baignoire ou qu'ils trouvaient amusants de faire pipi sur les murs de leur chambre « comme les garçons maman » voire quand ils ne dessinaient pas sur les papiers peints Laura Ashley de l'entrée de sorte que notre entrée façon bonbonnière ressemblait en fait de bonbonnière au mur tagué d'une hlm de seine st denis. Dans ces cas là, il braillait sur eux comme un forcené ce qui faisait que je lui fonçais dessus tel un Rotweiller, tous les crocs dehors, prête à en découdre ! Ainsi, hormis les phases d'exaspération de Charly, l'arrivée de sa fille, fut saluée par lui telle une promesse de paradis sur terre et il fut heureux comme un pape dès lors que sa venue s'annonça (Ca ne s'est jamais démenti. Il lui voue une adoration qui ne s'exprime pas nécessairement par de grandes déclarations vu qu'il est du genre handicapé pour ce qui est des effusions mais elle pourrait le faire marcher sur la tête sans problème et je crois même que si elle zigouillait quelqu'un (ça n'est pas dans son programme ce me semble) il lui trouverait toutes les excuses du monde voire la substituerait aux autorités s'il le fallait tandis que pour ma part je lui trouverai sans nul doute toutes les excuses du monde). Donc cette promesse d'une fille se vécut dans un bonheur total. 

Tandis que j'achetais des robes à profusion, tricotais des brassières à dominante rose, que je repeignais tout l'appartement, ou presque, dans ce même coloris, Charly ne brassait plus l'air, il faisait la planche dans une mer de félicité tandis que les garçons bien que s'étonnant de me voir tant grossir et me transformer jour après jour en une maman baleine, attendaient ce bébé de pieds fermes. Il était convenu qu'elle s’appellerait Sarah, princesse en hébreu, jusqu'à ce que Charly réalise que ses initiales seraient de fait SS ce qui n'est pas du meilleur goût pour une famille de juifs polonais ayant fait des stages à rallonge dans les camps dits de travail ou d'extermination de nos chers voisins allemands... En clair, un paraphe SS pour les descendants de victimes de la Shoah ne semblait pas du meilleur goût. Nous pouvions faire mieux. Je me mis donc à chercher avidement un prénom de fille et je trouvais. Alors peu usité, ce qui fit que longtemps personne ne fut capable de l'écrire correctement et qu'elle eut droit à de nombreuses versions de son prénom, il me semblait parfait : déesse des moissons pour les grecques et signifiant jeune pousse ou herbe naissante. C'était donc acté car parfait, elle s’appellerait Chloé. 

Bien évidemment, à la fin ça se compliqua (il est clair que je ne sais pas faire autrement que me faire remarquer en fin de grossesse, à croire que j'aime faire l'importante ou que j'ai une grande propension à déclencher des catastrophes dès que la balise finale se profile). Hypotrophique, en français très petite, voire hydrocéphale à entendre l'échographe qui cherchait le second rein vu qu'il n'en voyait qu'un, Chloé n'était pas au mieux de sa forme et moi je plongeais dans des affres de terreur absolue, pourtant à deux doigts du but : avoir une fille. L'affaire se présentait mal pour ce qui était de mon système nerveux : j'étais à deux doigts de l'apoplexie voire de la crise d'hystérie. De nouveau, branle bas de combats, accouchement en catastrophe et c'est la mort dans l'âme que cette fois je m'apprêtais à la mettre au monde, certaine que j'allais accoucher d'un monstre avec un tout petit corps une grosse tête et un rein aux abonnés absents. Je gardais donc les yeux fermés pendant toute la durée de sa venue sur cette terre jusqu'au moment où ma fille posée sur mon ventre, j'entendis son père et la sage femme dirent « Oh qu'elle est belle ». Alors j'ouvris enfin les yeux pour la découvrir. Ma fille. Ma princesse. Belle, si belle. Parfaite. Ma miniature de fille, 45 cm, 2,500 gr. Ma beauté. Bébé Pocahontas. Une petite indienne (il faudra que je tente de comprendre un de ces jours comment un mélange de français, russe, polonais, portugais et italien a pu produire un petit bout de femme qui avait tout d'une indienne à la naissance, un coup de la génétique façon diaspora sans doute), un teint de pêche (de l'intérêt de se transformer en lapine qui dévore des carottes au cours de sa grossesse), des yeux immenses, deux lacs noirs une nuit de pleine lune, des cils noir jais, un nez minuscule, pas plus gros qu'un petit pois, une bouche en bouton de rose. Et elle avait ses deux reins ! Ma merveille ! Je n'en revenais pas en la regardant d'avoir fabriqué une telle beauté. Je passais peu de temps à l’hôpital puisque Jonathan hurlait à la lune de désespoir toutes les nuits sous prétexte que sa mère n'était pas à demeure mais ce peu de jours suffirent à ce que Chloé défraye la chronique de l'hôpital Rothschild tant elle était jolie et que j'assistais dès lors à un défilé de sages femmes, de médecins, venus la reluquer et qui l'affublèrent du surnom de « jolie mademoiselle petit nez » ce qui resta longtemps vrai, jusqu'à ce que la demoiselle en question s'avéra avoir un sacré caractère et se trouva dés lors surnommée par ses parents, nous, épuisés par son indomptabilité « sacré caractère la framboise, j'aurais du appeler le cassis ».

Commentaires

  1. je suggère : https://www.youtube.com/watch?v=53FGE3ul6Dw

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  2. Émouvant, drôle, ho oui jour merveilleux où tu m'a offert ce cadeau ma petite princesse , merci ma douce.

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