Prologue ou comment la Pitié n'en fit pas preuve du tout 2 / 4


Alors on fait semblant. Semblant après la première confirmation d’un ponte en privé, semblant après le rendez vous fixé en février pour des examens complémentaires à la Pitié Salpêtrière où son frère fait ses études. Semblant.

Je ne verse pas une larme, je serre encore et toujours les poings. A m’écorcher la paume. Benjamin donne encore mieux le change que nous tous excepté que la nuit il ne dort plus et nuit après nuit, il veille jusqu’à l’aurore ou ivre de fatigue il finit par s’écrouler, encore plus blême que la veille. Chloé croit sentir son cœur s’arrêter chaque soir de sorte qu’elle aussi cesse de dormir. Jonathan assaille tous les médecins de son service pour avoir des explications quand il ne chasse pas une larme d’un revers de main rageur quant à Toto leur père, il est inapprochable, derrière sa grille intérieure où cette fois encore il est seul au monde ce qui fait que lui parler devient quasiment impossible (je sais déjà qu’il ne faut pas attendre de l’aide de ce côté). Nous sommes dévastés, le cœur hors les murs. Recroquevillés sur la douleur, seuls, les uns à côté des autres, mais pas trop proches car un effleurement pourrait déclencher ce que nous redoutons tous : un tsunami de larmes. Même Zonzon sent qu’il se passe quelque chose de grave car il cesse quelques temps d’aboyer et passe le plus clair de son temps étalé dans l’entrée, la tête entre les pattes à attendre que la bonne humeur veuille bien revenir et que par ses jappements il y participe.

Le pire reste à venir (je le savais bien qu’il est toujours à craindre).

Février 2010.

Le temps toujours glacial s’accorde parfaitement à mon état. Tremblante je suis, de peur, d’effroi.

Côté enfants, c’est presque la fleur au fusil que Benjamin nous conduit, sa sœur et moi, à la Pitié où il doit passer quelques jours pour examens complémentaires. Il semble que ni l’un ni l’autre n’aient conscience de la dureté des examens à subir ; je suis sans doute de cette famille la seule à savoir que le plus dur est prévu pour les heures suivantes. Assommée d’angoisse, je suis une éponge qui absorbe toutes les ondes alentours et je les perçois dissonantes quant aux courbettes que font les cardiologues en l’installant dans sa chambre, cela ne me rassure pas, voire m’inquiète (méfiez-vous toujours des gens qui vous font des ronds de jambes, ça cache toujours quelque chose de moche). Les enfants, qui n’en sont plus mais sont toujours les miens, semblent peu anxieux. Ils rient ensemble au cœur de la chambre, dévorent les crêpes que Laurie, l’amoureuse de Jonathan a fait en prévision ; le dit Jonathan fait le pitre et Toto arrive sur le soir, la boucle en bataille et l’air décontracté. 

Lorsque la cardiologue en chef vient dans la chambre et liste les examens à suivre : de petites caméras seront dirigées sur son cœur à partir de l’artère de la cuisse et ce sans anesthésie, il subira ensuite d’autres tests dont l’un est à haut risque vu qu’il est fréquent que le cœur s’arrête au cours du dit examen, plus personne ne rigole et Toto est en stand by quelques secondes, la crêpe en l'air, avec son air ahuri, celui qu'il prend régulièrement quand il sent que les choses se corsent. J’ai beau lever mes yeux bleus vers la dame en question comme pour la supplier d’épargner mon fils, de le laisser partir afin que nous puissions oublier et faire comme si de rien n’était, mon œil bleu, pourtant très ravageur par moments, n’a aucun impact. Il doit passer les examens. La mort dans l’âme nous quittons la chambre. 

En refermant la porte, je le regarde ce fils, sur son lit, pâle, presque affolé et je supplie le ciel qu’enfin tout cela s’arrête. Toute la tribu arpente ensuite en file indienne les couloirs du service pour atteindre la sortie, la tête baissée et en silence.

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