Prologue ou comment la Pitié n'en fit pas preuve du tout 3 / 4


Cette nuit là, impossible de dormir. (Je dois vous dire que je fais partie de ces femmes qui sont avant tout et sans doute uniquement des mères. Comme l’Augustine de Marcel, je suis née tout à fait le jour de la naissance de Benjamin qui fut mon premier bébé ce qui fait que ma vie ne saurait être si l’un de mes enfants n’était plus. Je ne juge pas les femmes qui sont très différentes, amantes avant maman, ou encore suffragettes. Que nenni. Mais pour ma part, je ne peux faire autrement. Les gens qui prirent le risque de blesser mes enfants savent que je suis une louve doublée d’une panthère et qu’ils risquent beaucoup à malmener mes gosses. Dès lors, je suis dangereuse et n’ai plus peur de rien. Je n’ai jamais tout à fait coupé le cordon ombilical, j’en suis bien incapable). C’est sans doute pour cela qu’au petit matin, à l’heure où la caméra pénètre son artère, je suis entortillée dans les draps, façon éclair, et que je me tords de douleur, de peur, souffrant tout comme lui, mon fils, mon garçon, ma merveille.

Les jours qui suivent sont terribles. Les mauvaises nouvelles s’abattent comme autant de gifles que nous prenons en pleine figure sans les avoir méritées. Pas une maladie mais deux. Génétiques qui plus est ce qui implique que ce soit l’un de nous, ses parents, qui lui avons refilée. Risque de mort subite. Dans le sommeil. A l’effort. Comme ces sportifs tombés sous les yeux de la foule. Une horreur absolue. Et Benjamin sur ce lit, l’œil hagard, affolé, souffrant, de la plaie, du pansement compressif et de la peur de mourir qui lui est venue. Il vient d’avoir 28 ans et son avenir est moribond.

Où trouve-je la force d’affronter les médecins, ces presque demi-dieux ? Du tréfonds de mon ventre sûrement, là où il s’était développé puis construit ce fils et surtout dans ce regard qu’il me tend. Il veut que ça cesse, il veut rentrer chez lui, revenir plus tard, il n’en peut plus d’angoisse. Alors, je m’oppose aux médecins, je sors toutes les griffes, je dis non, ça suffit, je le ramène à la maison, vous ne lui ferez plus rien, pas de tests qui peuvent lui arrêter le cœur, on arrête, on fout le camp, on s’en va, je récupère mon fils et à la revoyure. Bien sûr, il s’en suit une cohorte de médecins tentant de me faire plier mais à la vue de Benjamin qui commence un peu à se détendre, je sais qu’il est hors de question que j’obtempère. Alors je tiens bon et nous le ramenons chez lui. Chez nous.

Nous sortons de cet hôpital le 12 février 2010 (je vous informe que c’est le jour de mes 50 ans). Dans la voiture, je tiens la main de Benjamin tandis que Toto conduit. Je le vois si glacé mon fils, fermé, claquemuré que je ne pipe pas. Il dit :

« Maman, tu n’auras pas de petits enfants, je resterai avec toi, je ne me marierai jamais puisque je vais mourir ».

Je ne trouve rien à dire. Rien. Moi, l’incorrigible optimiste, la bavarde patentée, je suis coite.
J’ai 50 ans, lui 28 et nous sommes peut être condamnés puisque lui survivre me sera impossible. J’eus des anniversaires plus gais.

Ce soir là, chacun veut tout de même fêter cet événement. 50 ans maman, quand même ! Alors nous faisons semblant. Encore (c’est en passe de devenir une posture). Les filles de la famille ainsi que Toto ont préparé un repas mais personne n’a d’appétit et ce sont le terre neuve et les chats qui s’enverront le festin. Vers 22h, à l’heure de souffler les bougies, l’électricité saute. Plus de chauffage, plus d’éclairage ; à l’image de notre vie, nous sommes dans l’obscurité.

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