Prologue ou comment la Pitié n'en fit pas preuve du tout 4 / 4
A tâtons, en nous brûlant avec les
bougies que nous avons allumées pour y voir quelque peu, nous nous
couchons, chacun de notre côté, avec le même chagrin. Tandis que
Toto ronfle à mes côtés, je ne dors pas. Je veux partir dans le
froid, me jeter dans la Marne peut être ou alors tuer quelqu’un ?
Parce qu’après le chagrin, la rage m’a prise. Une rage terrible,
presque de la haine. Cela ne me quittera plus. Certains jours, je
suis inapprochable, pire qu’une terroriste et mes mots sont autant
de bombes que j’aurais sous la main, toujours prête à les
balancer à la tronche de qui s’approche. Je veux en découdre,
casser la gueule à la vie, m’envoyer le premier qui me barre le
chemin pour que cela sorte cette rage qui est tapie au fond de moi
depuis ce jour et demande à sortir régulièrement.
Au cours de mes réflexions, je prends
une grande décision. Si le malheur s’abat sur lui, j’aurai une
arme à portée de main pour me tirer dans la tête après l’avoir
porté en terre car à mon fils, et sa fratrie, je ne survivrai pas.
J’en suis là, détruite, le cœur au bord du vide, la rage au
ventre.
Je me lève pour aller me planter
derrière la fenêtre du bureau, je regarde le jardin et la neige qui
tombe. Dans ma tête, une chanson :
« Tombe la neige, tu ne viendras
pas ce soir, tombe la neige, et mon cœur s’habille de noir, ce
soyeux cortège, tout en larmes blanches, l’oiseau sur la branche
pleure le sortilège… »
Tout en chantonnant, enfin, je pleure.
Tandis que mon gros chagrin se transforme en larmes, je m’interroge :
mon fils sera-t-il là le prochain noël ? La perspective du
froid de son absence me pousse à me coller à la fenêtre, pour
sentir la glace qui givre les vitres, sans doute une façon de
commencer à m’habituer à cet univers glacial dans lequel son
départ définitif me précipiterait si d’aventure j’y survivais.
C’est alors que sur la pelouse devenue toute blanche, je distingue
le ballon de foot des fils pas tout à fait recouvert par la
neige. J’ai un flash quelques secondes, je les revois mes trois,
avachit dans l’un des canapés du salon, si proches, secoués par
un fou rire suite à une blague de Jonas. Je me souviens parfaitement
de ce moment où j’eus le sentiment absolu que nous étions une
famille et qu’ils étaient la meilleure chose qui me soit arrivée.
Alors en masse, les souvenirs me submergent. Des instantanés de
notre famille, pas celle de nos parents qui n’en furent pas
vraiment, celle que nous avons fait Toto et moi, à grands coups de
rires, de larmes, de rêves, de câlins, de hurlements et de
claquements de porte. Ma famille de fous jamais vraiment furieux. La
famille Rapaton.
J’écris ce livre de nos aventures
parce que je me sens au fond du trou, pour toujours enfermée, suite
à cette catastrophe. Je creuse des brèches dans mes souvenirs, afin
que la lumière revienne enfin et que souffle à nouveau le vent de
l’espérance ainsi je pourrai à nouveau comme je l’ai fait si
souvent, sauter à pieds joints dans la vie.
casser la gueule à la vie! quelle expression si réaliste...
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