Chapitre 1 : L'événement le plus important depuis qu'on a marché sur la lune 4 / 4


Une fois que nous eûmes tout à fait décoré l’appartement, fait des photos dans notre labo, tapissé l’entrée de tous les composits des mannequins de l’agence en mettant le mien au milieu pour jouer à chercher Cathy avec nos potes, écumé toutes les boîtes de nuit parisiennes ou presque, je voulais changer de vie. Il me fallait un couffin, avec un bébé dedans. Je recommençais mes déambulations avec un coussin sous le pull over, en caressant le dit coussin. Charly fit son œil noir, je fis mon bleu violet avec papillonnage des cils et il céda. En mai, à la campagne (mais non pas dans la luzerne), nous fîmes le nécessaire et quelques semaines plus tard, tous les objectifs étaient atteints : j’attendais un bébé. Mon bébé. 

Et Charly me refit le coup du crétin plus occupé à chercher la sortie qu’à se pencher sur mon futur gros ventre. L’œil viré bleu marine, je lui déclarais que je le garderai ce bébé, quoi qu’il arrive et que s’il le fallait je rentrerai chez ma grand-mère. Point barre. Il fit l’abruti quelques jours, pleurnicha qu’il avait peur, que même qu’on n’avait que 20 ans et blablabla mais contrairement à mes anciennes habitudes, je ne me couchais pas à ses pieds pour lui obéir voire lui mâcher le steack afin qu’il soit plus facile à manger, je ne cédais pas et commençais mes valises. Un soir il rentra, me regarda en souriant et en caressant mon ventre alors tout plat il dit « Alors tu me fabriques un bébé ? ». C’était parti, nous allions être parents. Ensuite ? Les affres habituelles des jeunes futures mamans avec une mère toujours foutue le camp en voyage à l’autre bout du monde et un père aux abonnés absents, la peur panique que mon ventre éclate façon allien et qu’il en sorte un monstre, des rires avec nos amis qui me trouvaient superbe et épanouie, des cinglés qui me suivaient dans le métro alors que j’étais enceinte jusqu’aux yeux, mon media planning director qui me surnommait la montgolfière et me traînait tous les matins au café pour que je déjeune (une manie ce truc de me faire petit déjeuner), les sourires de Manon qui n’en revenait pas que je devienne mère et pour finir, ou presque, un gynécologue à l’hôpital Rotschild complètement zinzin en plus d’alcoolique qui faillit me zigouiller car il n’avait pas capté que j’avais un début d’éclampsie, 18 de tension et des reins en passe de jeter l’éponge ! Heureusement, une sage femme, sobre pour sa part, affirma que j’étais en danger et me mit au lit avec interdiction d’en bouger avant qu’on déclenche les hostilités pour que le bébé sorte de là, vite fait bien fait avant que nous passions, le bébé et moi, l’arme à gauche.

Bien évidemment, le contraire aurait été étonnant, Charly ne manqua pas de nous faire un épisode à sa façon 15 jours avant la naissance du bébé. Il se roula par terre de douleur, hurlant à la mort, me suppliant de l’emmener à l’hôpital ; nous le regardâmes, Manon appelée au secours et moi-même, avec un air atterré avant de nous décider à appeler les pompiers. Ils l’emmenèrent tandis que Manon et moi nous tordions les mains d’angoisse et partions à pieds pour suivre le camion des pompiers car nous ne savions ni elle ni moi conduire de voiture, encore moins une Harley. Arrivées à l’hôpital, Manon se tenant la tête et moi le ventre, nous dûmes attendre le verdict car verdict il y avait, vie ou mort n’est-ce pas vu l’état du susnommé. Le médecin arriva, les larmes aux yeux, ce qui accentua considérablement notre panique, je me préparais à être veuve, bien que pas mariée, avant d’être mère mais c’était de rire qu’il pleurait et il nous déclara en s’étranglant, toujours de rire, que le sieur Charly avait le colon légèrement encrassé et qu’un peu d’huile de foie de morue devrait faire l’affaire. Je pense impératif de vous épargner mes commentaires car je serais tout à fait vulgaire quant à l’air de Manon je peux vous en faire part, elle leva les bras au ciel dans un geste de désespoir criant puis les laissa retomber sur ses flancs en baissant la tête. Geste que je pratique depuis lorsque les événements sont tout à fait incongrus ce qui est fréquent chez nous. Un truc de famille en somme.

Le 28 décembre 1981, Manon pleurait dans la chambre car elle avait peur de me perdre ce qui lui valut de se faire enguirlander et chasser de la chambre où elle revint une heure après avec des marrons glacés et des pardons au bout des lèvres. Compte tenu que je l’aimais d’amour ma grand-mère, elle fut aussitôt pardonnée de me filer la trouille et nous dévorâmes les marrons en nous interrogeant : fille ou garçon ? On espérait le garçon car tout était bleu ciel, le couffin, la chambre, la layette, je n’aimais que le bleu, ma vie bleu ciel.

Le matin du 29 décembre 1981, je fus emmenée dans une salle dite de travail, quel vilain mot, on me brancha des trucs partout et la guerre commença. Une guerre sans nom, des contractions toutes les minutes pour que le bébé arrive vite, quelques heures à supplier le ciel afin que la douleur s’arrête pour finir par arracher toutes les perfs et vouloir rentrer chez moi dans la minute en manquant tomber de la table, de travail elle aussi. Puis un chef de clinique qui pense que ça ne passera pas, charmant garçon, sort des ciseaux « qui coupent mal » dit-il en râlant et intime l’ordre à Charly et la sage femme de me monter sur le ventre en posant leurs avant bras pour aider à l’expulsion. Pfff, sont fous ces médecins. Et puis une heure encore à pousser, à me sortir les yeux de la tête, à réclamer ma mère et un petit cri. 16 h. Quelque chose qui éclate dans ma tête, comme un formidable arc en ciel, catapultée en quelques secondes au paradis, mon cœur qui bat la chamade car on pose mon fils sur mon ventre. Mon fils. Mon Benjamin. Ma merveille. Mon fils ! Beau, parfait, avec tous ses doigts de pieds. La sage femme qui dit « Il est très beau cet enfant » et Charly qui pleure en regardant son garçon. Le bonheur. Un bonheur immense. Quelque chose de définitivement magique. Ma vie bleu ciel au goût marron glacé. La vie rêvée de Cathy qui devient la vraie vie.

Ce fut la naissance de Benjamin, mon arc en ciel, l’événement le plus important depuis qu’on a marché sur la lune.

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