Chapitre 2 M'enfin où est passé le toit de la voiture ? 3 / 3


J’ai omis de mentionner le chat Popcorn, cocorn la cornèche lors du départ en vacances mais qui était pourtant bien là, planqué dans son panier à chat, coincé tout à fait parmi les bagages. Gouttière s’il en fut, la patte toujours prête à griffer pour le cas où quiconque tenterait de l’approcher. Hormis en ce qui me concernait. Avec moi, il multipliait les ronronnements, les câlins et autres frottages de tête mise à part en ce qui concernait la nourriture. Il se transformait alors en chat kricktetkratt et était prêt à livrer bataille si d’aventure, je dépassais de quelques minutes l’heure du repas… Craignant la grafignette, je veillais à ce qu’il mange à l’heure ; j’avais d’ailleurs été tout à fait échaudée le jour où, affamé compte tenu d'un retard de quelques minutes, il m’avait sauté au visage me griffant la paupière ce qui me valut d’avoir la trouille de ma vie : j’avais craint perdre l’œil ! Vu que c’est ce que j’ai de mieux, les « oeils », j’aurais été bien ennuyée alors n’ayant pas vocation à jouer les Moshe Dayan en jupon, j’étais très attentive à l’heure du repas… Ce jour là, dans son panier, planté au milieu du jardin, il n’en menait pas large le Cocorn. Ah ça, il faisait moins le fier à des kilomètres de chez lui avec pour toute vue un jardin qui lui était tout à fait étranger. Nous mîmes rapidement fin à son supplice et après avoir rangé les petits sur le canapé de ce qui allait nous servir de salon tout un mois durant, nous le libérâmes rapidement. Il partit renifler toute la maison, erra dans les moindres recoins pour finir par s’installer dans un énorme édredon de plume dont il ne bougea plus 24 heures durant.

Pendant ce temps là, nous découvrions la maison tout en en prenant possession. Elle était ravissante avec ses colombages, son petit jardin, son rosier dont les quelques roses courbaient la tête faute d’avoir été dûment taillé en mars, son puits qui terrorisa Manon à l’idée que petit Ben plonge la tête la première dedans ce qui fit que nous dûmes rapidement le boucher avec de vieilles planches pour que notre aîné n’aille pas en goûter le fond… Oui, c’était le paradis cette maison. Petite mais costaude, froide mais chaleureuse, dans une ruelle mais suffisamment près de la mer pour que nous en entendions le ressac. Le bonheur. Pendant que Manon et moi nous affairions à tout organiser pour les petits et à répartir les biberons, les couches, les jouets et tout le bazar qui va avec deux gamins, Charly s’installa au milieu de ses deux loupiots et s’endormit avec cet air ravi qu’ont les gens arrivés à bon port.

Le lendemain, nous partîmes tous ensemble sur la jetée faire le tour de Cabourg et nous allâmes la reluquer, la grande bleue. Elle était toujours aussi belle, toujours aussi immense, toujours aussi indomptable et nous nous pâmions d’admiration devant ses bleus successifs, son écume d’un blanc mousseux et son immensité jamais égalée. Charly y allait de son couplet sentimental en me disant que même superbes, ses bleus ne seraient jamais aussi beaux que ceux de mes yeux et moi je baissais les yeux en question en me demandant ce qui allait me tomber sur la figure vue que je n’avais guère l’habitude de tant de quiétude et de bonheur confondus.

Cabourg nous vit donc défiler, accrochés à nos deux poussettes, avec nos pioupioux équipés pour le gros temps ; dans le même temps, nous écumâmes les restaurants du coin où petit Ben mangea ses premières moules avec un air si dégoûté que nous cessâmes immédiatement son supplice afin de lui faire servir une assiettée de frites qu’il mangea, quant à elles, avec un large sourire. Pendant ce temps, son Jonas de petit frère dormait des heures entières, assommé par l’air iodé, tétait à bouche que veux tu dès qu’il était réveillé et prenait du poids en même temps que des couleurs quant à Manon, elle était ravie. Juste ravie. Nous étions si heureux. Petit Ben découvrait les joies des bains de mer dès que le temps le permettait. Il dorait jour après jour, telle une petite brioche, car il passait de longues heures, assis dans l’eau à observer les algues, à rire à l’arrivée de chaque vague quand il ne nous assistait pas à la pêche à la crevette que nous remettions à l’eau immédiatement une fois dans le filet car sinon il devenait inconsolable : « pas mouri kevette, pas mouri ».  Il me regardait faire des tortues de sable, partait avec nous à la recherche de coquillages pour leur faire des yeux, assistait à quelques couchers de soleil mémorable qui nous valurent d’ailleurs des photographies d’une rare beauté.

Toute la semaine, c’était le bonheur en rond, nous ronronnions de concert, heureux comme des gosses que nous étions encore, flanqués de nos deux loupiots. (Il y a comme ça des gens qui gardent longtemps en eux quelque chose de l’enfance, dans le regard, dans l’attitude, dans la propension à rire de tout, à ouvrir les bras, à plaindre, à compatir, à s’enthousiasmer, à se révolter, à taper des mains. Nous en faisons partie. J’ai cru longtemps que c’était un manque de maturité et j’ai un jour compris que c’était simplement parce que nous avions mal à l’enfance et que l’enfant en nous continuait encore à attendre quelque chose, ne nous quittant jamais tout à fait. Il y a en Charly et moi un enfant qui pleure, attend et espère et nous mourrons sans doute sans jamais l’avoir consolé cet enfant là).

Il y eut quelques épisodes mouvementés bien sûr. Avec ma famille de zinzins, le contraire serait impossible. Tout d’abord, Cocorn la cornèche trouva judicieux, une fois sorti de son édredon, d’aller faire un tour au bord de la mer. Nous eûmes beau tout faire pour le circonvenir, il parvenait tous les jours à nous fausser compagnie mais il rentrait chaque soir, à l’heure de son sacro saint repas. Sauf un soir. 22 h arrivant, toujours pas de Popcorn. Confiant les enfants à Manon, nous partîmes, Charly et moi, armés d’un sachet de croquettes, sous la pluie et dans le vent, braillant à qui mieux mieux son nom tout en secouant le sachet en question. Nous fîmes toute la plage, en large, en long et en travers : pas plus de Corneche en vue que de beurre en broche ; par contre, les quelques touristes ayant décidé de braver le mauvais temps qui nous croisèrent nous prîmes de toute évidence pour des fous. Trempés comme des souches, tremblants de froid, avant d’être tout à fait transis et de guerre lasse, nous décidâmes de remettre notre recherche au lendemain et de regagner nos pénates. La mort dans l’âme à l’idée de ne pas récupérer notre chat mais à notre grande surprise, nous l’aperçûmes alors, devant la porte de la maison, abrité par un pan de mur, avec l’air de nous demander ce que nous étions en train de ficher… Nous fûmes tellement contents de le retrouver qu’il ne fut point disputé et il réitéra tous les soirs ses ballades en bord de mer. Nous lui faisions confiance, il reviendrait. En moins drôle et compte tenu que notre « comme papa » avait toujours la capote de traviole vue que nous n’avions pas les moyens de la réparer là tout de suite maintenant, elle prenait régulièrement l’eau et nous devions éponger plus que nous ne l’aurions souhaité mais cela aurait été seulement drôle si des petits malins n’avaient pas repéré le superbe lit auto, très cher, que Manon nous avait offert : ils trouvèrent très amusant de couper les harnais qui le rattachaient à la ceinture de sécurité et ils n’hésitèrent pas à le voler ce qui nous valut d’écumer toute la région pour trouver un lit auto digne de ce nom et qui ne nous ruinerait pas tout à fait… Hormis ces quelques moments un peu intenses, tout était calme, nous nous reposions.

Mais le week end, c’était tout différent. C’était la fête. La fête des potes. Doume, Jean Louis, Calin, Emmanuelle, bébé Romain, Parrain, Bichette, Caro, Pollux, Eric, Chantal… Les week end, ce fut un vrai défilé, ils vinrent tous nous voir et partager avec nous un petit bout de bonheur, dans cette maison, au bord de la mer. Aux soirées spaghettis à gogo succédaient les parties de Trivial pursuit qui venait à peine d’être inventé, le tout arrosé en veux tu en voilà de vins de Bordeaux et autres boissons plus gouleyantes les unes que les autres. Nous finissions les soirées à moitié éméchés dans les rires et les bousculades, installions des matelas par terre pour que tout le monde puisse dormir pendant que petit Ben s’assoupissait dans les bras de Manon et que bébé Romain et bébé Jonas dormaient tête bêche dans le petit lit en toile bleue. C’était bien. Pas un soir ces week end là nous ne nous couchâmes sans la hâte d’être au lendemain. Pour rire encore et s’aimer. S’aimer d’amitié.

Doume, ma blonde aux yeux noirs et ses jambes magnifiques, belle à tomber parterre, une doublure au cordeau de la Bardot de la belle époque avait, tout comme moi, rangé le rimmel, le crayon noir pour les yeux de biche et les séances de séduction à tout va. Nous étions juste mamans. Du temps où nous travaillons ensemble dans une grosse agence de publicité, surnommée Bardot pour elle et Taylor en ce qui me concerne, nos journées étaient jalonnées de mises en vrac de tous les mâles environnants. S’en était fini. Nous étions devenues des mères en vacances, avec leurs petits. Lorsque nous faisions encore des victimes, c’était vraiment à nos corps défendant. Cette fin d’été là, nous partions des heures nous promener toutes deux au bord de la mer avec nos 3 loustics, riant de leurs mimiques, des nouveaux mots de petit Ben, nous confiant des secrets de filles, nos craintes communes, nos terreurs de mères, nos angoisses existentielles en ce qui concernait notre propension à être, ou pas, de bonnes mamans. Pendant que les pères restaient des garçons, nous avions passé un cap supérieur, celui du statut de celle sans qui rien n’est possible. Le cœur de la famille. Des mères. Lorsque nous avions fini nos longues ballades, nous rentrions ensemble changer les bébés que nous placions comme deux sardines sur le lit de la grande chambre, l’un à côté de l’autre, nous réchauffant mutuellement les mains pour ne pas frigorifier les chers petits en touchant leur peau toute chaude sous les vêtements accumulés façon pelures d’oignons les jours de grand vent. Les journées où il faisait beau, nous allions nous installer sur la plage avec nos pioupioux et papotions des heures sans jamais nous lasser l’une de l’autre. Oui, c’est sûr, je l'aimais fort. Elle était mon amie même si je dus admettre avec le temps que je n'étais pas la sienne. Je n’en eu jamais vraiment d’autre. C’était Elle. Et pendant que Charly rigolait comme un bossu à toutes les blagues lourdes de Jean Louis, le compagnon de Doume et père de son Romain de fils, nous les regardions toutes deux, souriant à leurs délires, heureuses. Simplement.

C’était le bon temps. Nous ne le savions pas. Ses vacances furent sans doute les plus belles de notre vie malgré que la petite Chloé et le petit Nicolas n’étaient pas encore là. La vie d’avant les hôpitaux et les cimetières. Les années qui suivirent nous virent tremblants devant des tombes. En nous tenant la main. Celle de Manon, de Maman, de Bichette, de Thierry puis celle de Jean Louis, mort avant que son second fils n’ait trois ans, foudroyé encore si jeune, laissant Doume seule avec ses deux petits, sans travail, loin des siens et tout à fait désespérée. J’aurais longtemps dans la tête le premier regard qu’elle me tendit lorsque nous nous retrouvâmes après la mort du père de ses deux enfants. Elle était toujours aussi belle avec ses jambes fuselées et magnifiques et ses cheveux blonds mais quelque chose dans le noir de ses yeux s’était éteint à tout jamais croyais-je alors. Mais c’était sans compter sur la Ste Providence, le destin ou Dieu peut être car ma Doume, mon amie, ma sœur me donna la possibilité d’avoir cette preuve définitive que le prince charmant existe et qu’il l’attendait, ma jolie, quelque part au pays de Dante.

Commentaires

  1. plus bleu que le bleu de tes yeux, il n'y a rien de mieux! j'ai hâte de lire la suite! j'adore, merci

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