Chapitre 2 M'enfin où est passé le toit de la voiture ? 2 / 3
Dans les jours qui suivirent, je
rédigeais son faire part de naissance : « le véhicule de
notre petite famille a enfin sa quatrième roue : nous
pouvons rouler tranquille ». Ce que nous fîmes. Benjamin adora
immédiatement son frère. Nulle trace de jalousie, il était du
genre à partager petit Ben et ne se sentait dépossédé en rien
d’avoir à partager sa maman avec ce nouveau né qui la dévorait
12 fois par jour. Je battis tous les records en terme de tétées,
Jonathan ne trouvait le repos que suspendu à mes seins. Autant
Benjamin était calme et serein autant Jonas était anxieux et
inquiet. (Ne cherchez pas d’explication fumeuses, c’est un coup
du zodiaque. Mon bébé cancer était tel que défini par les
astrologues : inquiet et définitivement en adoration devant sa
maman et son Benjamin de frère). Il ne trouvait la paix que près de
son frère ou de moi. Les autres n’existaient pas au point qu’il
se dévissait la tête pour me chercher si par malheur je le déposais
quelques secondes dans les bras de Manon ou de son père (nous
étions, et nous sommes encore aujourd’hui tout à fait fusionnels,
au point qu’il habite aujourd’hui qu’il a plus de 30 ans à
quelques mètres de moi). Contrairement à la naissance de son frère
qui fut la révélation d’un amour absolu, la naissance de Jonathan
fut une consécration de cet amour. Il était dès lors écrit que ma
vie tournerait en rond autour de ces deux petits garçons, que j’en
arpenterai éternellement la circonférence, que c’était ma vie,
consacrée à eux.
L’amour de Benjamin pour son frère
l’ayant poussé à balancer ses petites voitures dans le lit du
bébé afin qu’ils jouent ensemble, du moins l'espérait-il, il s’avéra que Jonas en
prit une dans l’œil et qu’après quelques jours passés à
scruter l’œil en question et ce alors qu'ils étaient déjà très
souvent gonflés pour une raison que j’ignorais alors, je finis par
tout à fait paniquer : l’œil était plein de sang. Nous
dûmes aller en catastrophe à l’hôpital des Quinze Vingt où il fut hospitalisé une
semaine, semaine au cours de laquelle je perdis le manger, le boire,
le sommeil tout en somme hormis ce qui consistait à m’occuper de
lui. Nous eûmes droit à toutes les prospectives : tumeur à
l’œil ? Au cerveau, derrière l’œil ? Scanner et tout le
bastringue qui nous laissaient tout à fait pantois leur père et moi
et tandis que je me tordais les mains d’angoisse, Charly fut
héroïque pour cette fois en refusant tout net que les médecins
continuent à prendre notre fils pour un cobaye jusqu’à envisager
de lui faire des piqûres dans l’œil. A 2 mois ! Il nous prit
sous le bras, son fils et moi, et nous ramena à la maison après
avoir signé la décharge qui va bien. Bien sûr, le bébé fut
soigné en privé par un ponte en ophtalmologie qui finit par nous
expliquer que c’était au moment de l’accouchement que la
pression avait été trop forte sur les tempes du bébé quand
l’autre sage femme vétérinaire tentait de l’expulser à la main
et que la voiture de son frère n’avait fait que révéler
l’hémorragie interne de l’œil que personne n’avait vu depuis
des semaines.
Nous en fûmes quitte pour une grande
peur et nous décidâmes de partir en vacances au bord de la mer avec
les petits pour nous ressourcer un peu, qu’ils prennent des
couleurs, aient de l’appétit et découvrent la grande bleue. Un
grand coup d’iode en perspective.
Charly parti donc quelques jours avant,
en éclaireur, pour louer une maison à Cabourg. Une jolie maison,
dans une ruelle, menant à la plage. Elle s’appelait le petit
Shamrock ce qui est le nom irlandais du trèfle à 3 feuilles. Il n’y
avait pas à tortiller, elle était prometteuse cette villa, surtout
s’il lui poussait une 4ème feuille cette fin d’été
là. C’est donc le trèfle au fusil que nous partîmes pour Cabourg
un matin de fin août. La veille du départ, j’avais eu une grande
discussion quelque peu houleuse avec Charly sur l’utilité, ou non,
de prendre tout ce que j’avais entassé dans les valises qui
étaient au nombre de trois. J’avais bien essayé de tenir tête
sur la nécessité impérieuse d’avoir les sandales qui vont avec
la robe qui va avec le bandeau qui va avec le sac ainsi que tous les
jouets des petits mais j’avais du céder : le coffre de la 2
cv n’avait pas une telle largeur d’esprit. Notre pétroleuse
surnommée quelques mois plus tard la « comme papa » par
petit Benjamin, avait donné raison à Charly : j’avais du
élaguer…
C’est ainsi qu’au petit matin, nous
nous retrouvâmes devant la « comme papa », les petits
rangés telles des sardines séchant au soleil, les deux valises en
enfilade derrière eux et tout le reste de notre barda. Pour
surveiller le barda en question, Manon avait été désignée œil de
Moscou et elle prenait sa tâche très à cœur. Pendant ce temps,
Charly et moi nous nous arrachions les cheveux pour savoir comment
faire tenir dans une 2 cv, une grand mère, deux bébés, une mère
échevelée, un Charly qui perdait patience et tout le bocson qui va
avec. Il nous fallut bien une heure pour y parvenir et c’est serré
comme des sardines que nous prîmes la route de la mer. Les vacances
nous attendaient !
Parce qu’en plus d’échevelée,
j’ai une trouille carabinée des autoroutes, nous avions entamé la
route des vacances par la nationale. Les kilomètres défilaient, les
bébés somnolaient, Manon essayait de tricoter sans y parvenir,
perdant une maille à chaque sursaut de la « comme papa »
qui fonçait à toute allure, 60 km/h quand même, sur les routes de
Normandie pendant qu’intarissable, je papotais avec Charly. Plus
exactement, je monologuais tandis qu’il hochait vaguement la tête
de temps en temps en souriant à mon verbiage inextinguible. Les
vaches nous regardaient passer, je m’extasiais sur la couleur du
blé, battais des mains quand je voyais 3 coquelicots qui se
battaient en duel et sautais sur place, d’impatience, car je
n’avais qu’une cesse : faire trempette avec mes fils.
Soudain, dans une ligne droite, un
camion, énorme, nous fit face tout occupé qu’il était à en
doubler un autre qui n’était guère pressé. Il se rabattit en
pleine vitesse et passa à quelques centimètres de la « comme
papa » qui se mit à trembler pour finir tout à fait décoiffée
d’avoir été doublée de trop près : la capote avait été
soufflée. Et pendant que les deux petits étaient réveillés en
sursaut, que Manon demandait l’œil hagard « Mais enfin où est passé le toit de la voiture ?», que je restais sans
voix (pour une fois), Charly gara précipitamment, sur le bas côté,
la pétroleuse de comme papa qui avait l’air d’avoir fait la
guerre. Après quelques secondes de silence absolu, je dis d’une voix
fluette « Oh non, on ne va pas rater nos vacances ». Cela
suffit à Charly pour qu’il se précipite dehors pendant que Manon
et moi essayions de calmer les petits qui se remettaient mal de ce
croisement intempestif. Il évalua les dégâts : la capote qui
servait de toit à notre engin à 4 roues pendait lamentablement à
l’arrière, toute morveuse qu’elle était de n’avoir pas
supporté de croiser un poids lourd. La vitre arrière qui lui était
attachée était en partie déchirée donnant un spectacle tout à
fait pitoyable… Cela sentait le retour au bercail, à notre grand
désespoir. Nous risquions la privation de vacances sans compter les
deniers que nous avions versés pour la location du trèfle qui
venait sans conteste de perdre une de ses feuilles.
Puis nous réfléchîmes ensemble à
une solution : récupérer la capote, la rouler au mieux,
l’attacher ainsi pour tenter de former un dessus de voiture et
continuer la route en croisant les doigts pour ne pas rencontrer un
autre camion étêteur. Nous aurions pu nous arrêter dans un garage,
prendre un hôtel et attendre 24 voire 48 h qu’elle soit réparée.
Nous aurions pu. Dans l’absolu. Car nous étions tout à fait
fauchés et notre peu de deniers étaient destinés à passer des
vacances agréables, à sucer quelques glaces à l’eau et à
tripatouiller dans la vase équipés des sandales adéquates restant à
acheter.
Nous repartîmes donc en direction de
Cabourg. Un peu frigorifiés tout de même vu que c’était la fin
de l’été. Les bébés avaient été couverts de moult lainages,
Manon avait mis son vieux bonnet que par chance elle avait dans son
sac et Toto et moi nous nous conditionnions à nous dire que non,
non, nous n’avions pas froid. Nous fîmes donc ainsi les 80 km qui
nous séparaient encore de Cabourg. Afin que les petits cessent de
pleurer nous chantions en chœur et à tue tête, nous les grands,
« il était un avocat, tire la patte, tire la patte, il était
un avocat, tire la patte à mon petit chat… » suivi de « dans
la forêt un grand cerf… » et autres « à dada sur mon
bidet, quand il trotte… ». Nous chantâmes jusqu’à
Cabourg, sans reprendre souffle ce qui fit que les petits se turent, la
tête à l’air, regardant le ciel immense, dans cette « comme
papa » transformée en décapotable pour cause de poids lourd
azimuté.
Nous fîmes sensation en rentrant à
Cabourg au point que nous pouffions tous les 3 à voir leurs mines.
Nous avions l’air des protagonistes des Raisins de la colère avec
notre voiture au toit arraché, les bagages dans tous les coins, une
vieille dame un bonnet sur la tête, des enfants emmitouflés façon esquimaux et des parents frigorifiés. Il
est évident que ce n’était pas du goût de tout le monde notre
incursion étrange dans ce monde bourgeois catho de bon ton mais nous
nous en fichions tout à fait : nous étions arrivés à bon
port, tous intacts, les vacances pouvaient commencer… La dame de
l’agence ne pipa mot lorsqu’elle nous remit les clés de la
maison du bonheur mais je la soupçonne d’avoir tremblé tout le
mois que nous saccagions la villa. Nous, nous étions heureux, nous
étions en vacances avec nos bébés, pour la première fois !
Pendant des années, chaque fois que
nous croisions un camion, Charly et moi eûmes le réflexe de tenter
de retenir le toit. Jamais cela ne se reproduisit. Depuis, nous avons
roulé dans de belles voitures, jusqu’à la Porshe dont Charly
était tombé amoureux et que nous revendîmes dans l’année parce
que, y a pas, une Porsche dans le 93, c’est par trop provocant eu
égard à la misère ambiante de certaines cités. Mais jamais nous
n’avons été aussi heureux que dans cette « comme papa »
scalpée, lancée sur les routes de Normandie, avec mon vieil ange
aux yeux verts, son bonnet sur la tête, nos bébés tout ronds et
dodus qui nous écoutaient leur chanter à quel point nous les
aimions, Charly cramponné à son volant des fois que toute la
carlingue s’écroule et moi qui goûtais déjà au plaisir que
j’aurai un jour à leur raconter leur premier départ en vacances.
BONNES VACANCES!
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